Thanatose et immobilité toniqueLa thanatose (du grec "thanatos" qui signifie "mort") est une technique de défense (ou d'attaque chez certains prédateurs) pratiquée par de nombreux animaux : elle consiste en une immobilisation du corps dans le but de simuler un état de mort apparente. Il s'agit d'un comportement adaptatif qui se distingue de l'immobilité tonique, qui est un réflexe involontaire. Ces deux comportements se rencontrent chez de nombreux invertébrés mais aussi chez des poissons, des reptiles, des mammifères et chez plusieurs oiseaux. Dans cet article, nous vous présentons quelques exemples dans le monde aviaire et des explications possibles.

La thanatose et l'immobilité tonique sont deux comportements qui peuvent facilement être confondus car ils se ressemblent superficiellement : dans les deux cas, les animaux sont immobiles et silencieux. Mais dans le premier, il s'agit d'une adaptation évolutive ayant pour but de simuler la mort vis à vis d'un prédateur, d'une menace ou même d'une proie (dans le cas d'un prédateur). Par contre, l'immobilité tonique est de type réflexe et est donc involontaire : le sujet est comme "paralysé", avec les muscles hypertoniques, les yeux fermés de façon intermittente et le rythme cardiaque diminué.

Quelques exemples

Ces deux comportements ont été observés chez plusieurs oiseaux : Armstrong (1965) a ainsi décrit des cas d'immobilité chez 20 espèces, par exemple chez plusieurs canards, gallinacés, mégapodes (voir la vidéo d'un mégapode simulant la mort) ou perroquets (voir une vidéo d'un Youyou de Sénégal).

Le Martin-pêcheur d'Europe (Alcedo atthis), lorsqu'il est effrayé, tendrait parfois ses muscles presque jusqu'au spasme, donnant l'impression d'être mort depuis un certain temps !

Le Milan royal (Milvus milvus) est aussi connu pour feindre la mort en présence d'humains.  

Alan B. Sargeant et Lester E. Eberhardt (1975) ont étudié le comportement de 50 canards attaqués par des renards dans le Dakota du Nord, et ils ont observé que tous les oiseaux attrapés simulaient la mort et restaient immobiles durant des durées variables, allant de 20 secondes à 14 minutes (voir ci-dessous une intéressante vidéo d'un canard faisant de même avec un chien le poursuivant). Mais ils restaient en alerte et profitaient de la moindre occasion pour s'échapper; 29 oiseaux ont ainsi pu survivre aux attaques. Les renards les plus expérimentés anticipaient les risques de fuites et tuaient les oiseaux dès leur capture. 

Howard H. Vogel a décrit en 1950 dans la revue The Auk ce type de comportement chez un rapace, l'Urubu à tête rouge (Cathartes aura) : un adulte sur son nid, qui avait sous lui deux poussins de quelques jours très agités, était complètement immobile et silencieux durant plusieurs minutes, semblant être "gelé" et sans vie même quand il était menacé par un bâton.

D'autres oiseaux ont des comportements similaires mais moins poussés, plus proches du mimétisme : c'est le cas par exemple du Butor étoilé (Botaurus stellaris) et du Blongios nain (Ixobrychus minutus) qui se tiennent immobiles dans les roseaux, le bec pointant vers le haut, ou de plusieurs femelles dans leur nid. Ainsi la femelle du Lagopède des saules (Lagopus lagopus) s'immobilise-t-elle en cas de danger, s'accroupissant avec la tête baissée et les yeux ouverts. Son rythme cardiaque diminue alors, passant de 208 ± 40 à 102 ± 13 battements par minute.

Des explications possibles

Grive "faisant  la morte". Source : Vidéo postée par BruceMoosedotCom

L'interprétation la plus répandue est que ces comportements d'immobilisme constituent des techniques de défense secondaires et passives ayant pour but d'échapper à un prédateur ou à une menace potentielle. 

L'oiseau feint d'être mort comme ultime solution, quand la probabilité de fuir est très faible. La proie essaie de désintéresser les prédateurs car souvent ils ne mangent pas les cadavres dont la chair pourrait être en état de putréfaction. Ils finissent par s'éloigner et la proie en profite pour s'échapper.

L'immobilité réduirait aussi l'attention du prédateur : quand un oiseau immobile est près d'un autre en mouvement, c'est généralement le second qui est choisi. L'immobilité est un moyen de se "fondre" dans le paysage.

Deux explorateurs,  Livingston et Legault, ont ainsi raconté avoir échappé respectivement à un lion et à un ours polaire en ne bougeant pas, les deux animaux s'étant intéressés aux hommes courant pour leur échapper ...

L'immobilité réduit aussi la probabilité d'une attaque prolongée et d'un maintien dans la gueule ou le bec du chasseur. C'est ce qu'ont constaté des chercheurs qui ont mené l'étude du comportement  de 50 canards attaqués par des renards évoquée plus haut : plus de la moitié d'entre eux a pu rester en vie en faisant le mort après avoir été attrapée.

Le mouvement constituerait en fait un stimulus déclenchant une attaque chez plusieurs prédateurs. C'est ce qu'avait remarqué Leyhausen (1979) en étudiant le comportement de chats chassant des Cailles du Japon (Coturnix coturnix japonica) : leurs déplacements pousseraient les félins à quitter leur posture accroupi  pour leur sauter dessus, et seuls ceux qui sont très expérimentés se jettent sur des proies immobiles. 

L'immobilité des cailles diminuerait ainsi leurs risques d'être tuées, les chats ciblant deux fois plus les oiseaux actifs que ceux restés inertes. Le fait notamment d'être tenues au niveau de leur cou déclencherait chez elles une immobilité musculaire et une diminution du rythme cardiaque. Le prédateur ne "sent" alors plus sa proie et peut relâcher son étreinte.

Mais l'efficacité de cette technique de défense est variable, car les attitudes des oiseaux faisant semblant d'être morts ne sont pas parfaitement identiques à celles d'individus réellement  décédés : leurs yeux et leur bec restent en effet généralement ouverts, ils reposent plutôt sur le côté que sur le dos, leurs pattes sont visibles et non pas repliées dans les plumes du ventre et ils réagissent souvent aux bruits, aux piqûres et aux souffles d'air.

Et elle dépend aussi de la technique de chasse du prédateur : elle est peu utile quand celui tue et mange de suite sa proie après l'avoir attrapée.

Un lien entre immobilisme et teneur en mélanine

Des études récentes ont montré que le taux de mélanine des plumages des rapaces était relié à sa capacité à "gérer" des situations de stress. On a ainsi observé que les poussins d'Effraies des clochers (Tyto alba) les plus sombres et les plus fortement tachetés étaient ceux qui simulaient le plus longtemps la mort, qui respiraient alors le plus lentement et qui étaient les plus dociles quand ils étaient manipulés. La relation entre la taille de ces taches et la durée de l'immobilité serait héritée de la mère biologique. 

On a aussi découvert que les poussins de Faucons crécerelles (Falco tinnunculus) ayant la barre sub-terminale la plus large faisaient plus longtemps les morts en restant sur le dos (immobilité tonique) et respiraient plus lentement que ceux avec une barre plus fine.